Sautons !

« Pourquoi n’y aurait-il plus d’adolescents assez sauvages pour refuser d’instinct le sinistre avenir qu’on leur prépare ? »
Annie Le Brun.

Comment est-ce devenu acceptable de se faire installer dans la misère économique, intellectuelle et affective ? Comment est-il devenu si goûteux de perdre le goût ? Comment l’idée de liberté a-t-elle pu se laisser flétrir dans le placebo généralise ? Quel monde nous-a-t-on laissé, et quel monde voulons nous laisser ?

Tant que les cœurs battront, il sera toujours possible de se révolter jusqu’à la liberté totale, jusqu’à ce que nos nihilismes soient vaincus.

Jusqu’à retrouver le gout

Le cœur bat encore.

Rien n’est à nous…

Le monde est une vaste chose. Des milliards d’individus s’y meuvent et pourtant, les ressources et la centralité du pouvoir appartiennent à bien peu de gens. Le capitalisme est un système économique qui n’est pas en mesure de faire circuler quoi que ce soit d’autre que des capitaux, des marchandises, et tout un monde fondé autour d’eux pour les protéger et les valoriser. Un monde dans lequel on apprend à condamner moralement celui qui vole une orange et à admirer celui qui fonde une banque. Un monde qui n’offre pour perspectives de réussite que le cannibalisme social et la concurrence, dans lequel il n’y a plus aujourd’hui mieux à faire que d’y refuser de parvenir. Un monde de bureaucratie, de misère, de tristesse et de béton armé, dans lequel l’État, tour à tour paternaliste et répressif, ne semble rien chercher d’autre qu’à maintenir le statu quo dans lequel il pourra continuer de rester maître des cartes. Un monde dans lequel nous ne sommes plus capables de formuler autre chose que des revendications séparées dans les termes et les conditions du pouvoir.

Le RIC pourrait un temps donner l’illusion de reprendre un peu le « contrôle » de nos vies, de pouvoir influencer le cours des choses. En votant Oui ou Non, on imagine peut être que cela sera différent que de voter Tel ou Tel. Mais si nous possédons quelques réponses et surtout un tas de questions, ce n’est certainement pas au pouvoir de les arbitrer ou d’y répondre, ni de les formuler ou de les appliquer. Le pouvoir ne se détruira pas de lui-même. Et c’est ici qu’il nous faut savoir ce qui nous appartient dans ce monde et ce que nous avons encore à y gagner.

Notre réponse est simple   : Rien.

De ce néant à la fois absolu et créateur peut émerger de nouvelles possibilités, comme la révolution et la liberté totale. Sur le chemin de la destruction s’ouvrent des ruptures temporelles dans la vie quotidienne, et les certitudes sont bousculées. S’engager à corps perdu dans la guerre sociale nous change, c’est une expérience à la fois individuelle et collective : se révolter rend courageux et intelligent, et c’est d’intelligence et de courage dont nous avons besoin pour attaquer ce monde qui semble si invulnérable, mais qui pourtant ne l’est pas, comme nous pouvons régulièrement l’observer. Ce moment où la révolte saute le pas et les désirs sont bouleversés, c’est le moment où cela n’a plus de sens de réclamer une augmentation de salaire, parce que l’argent n’existe plus, que les usines, les prisons et les bureaux, ces bagnes travaillistes, servent de toilettes à l’humanité. Parce qu’il n’y a plus de salaires, parce que l’on arrête d’établir au sein de l’activité humaine une hiérarchie et des critères de rentabilisation qui dépassent de loin l’entendement. Parce qu’il n’y aura plus aucune institution à qui demander quoi que ce soit, seulement des êtres humains, des compagnons.

Si ce monde en forme de château de cartes résiste pour le moment à tous les courants d’airs, c’est qu’il tient, comme il tombera, par tous ses aspects. Nationalisme et patriotisme font office d’appartenance à un idéal prétendument commun. La notion de « peuple » qui n’a jamais servi à rien d’autre qu’à (faire) massacrer des générations entières de jeunes gens, et dont l’unité s’est toujours faite au détriment de catégories ou d’autres de la population, trouve malheureusement dans les manifestations actuelles une nouvelle jeunesse. La xénophobie qui permet de pointer des boucs émissaires tout désignés par l’État en la figure des migrants, déjà exploités et victimes de racisme, ne vaut pas mieux que l’immondice bleu blanc rouge, symbole de la défense de l’ordre des choses, que l’on revoit flotter partout, pas seulement sur les uniformes des valets serviles de l’État. Tant que nous tiendrons à ce monde et à ses vieilles morales de l’argent, de la concurrence, des frontières, des prisons et des barbelés, nous serons incapables de lui porter de véritables coups, attaquer les fondations du pouvoir n’étant pas qu’une question militaire. Car à quoi bon attaquer les symboles de l’État si ce n’est que pour faire valoir un changement d’intendance ? Et si nous en finissions avec l’État ?

Le sabotage et le pillage sont des armes parmi d’autres au service des révoltés, ne laissons pas le blah blah des médias et de la bourgeoisie remplir nos cerveaux. Toute brèche dans la normalité est un espace de respiration supplémentaire pour qui étouffe. Aucun referendum ou bulletin de vote n’a jamais rien changé au cours de la domination et de l’exploitation, et les différents modes de gestion du capitalisme, qu’ils soient démocratiques, monarchiques ou dictatoriaux, servent à maintenir les intérêts de celles et ceux qui les possèdent.
A partir de là, personne ne peut prétendre représenter la révolte qui s’exprime aujourd’hui contre la représentation et le monde qu’elle a produit à travers les siècles. Celle-ci ne pourra pas faire basculer nos vies vers ailleurs tant que nos pieds resteront ancrés dans la merde nationaliste et xénophobe du vieux monde, avec ses armées, ses partis, ses organisations et ses syndicats, tous là pour chapeauter ou mater nos instincts de liberté.

Ce n’est donc pas de casser ou non qui nous sépare les uns des autres, mais bien d’en finir avec toutes ces entraves à notre liberté ou de s’y résigner. Le pari de l’insurrection n’est-il pas la distance la plus courte entre ce monde et l’inconnu ? Étant donné ce que nous connaissons déjà de ce monde, la joie ne pourra se trouver que là-bas.

Soyons autistes, ne dialoguons plus jamais avec le pouvoir.
Tout ce qu’on aura, on le volera.
A bas la France.

Des Aspirants sauvages.

 

 

 

 

A propos de ce site

La possibilité singulière

 

Au bord de la possibilité du vide, de l’acceptation du désastre ou de la résignation à ce monde inodore, incolore, sans saveur qui ne nous promet rien d’autre que sa misère, sa séparation, ses réseaux sociaux, ses prisons, sa police et ses frontières,

Alors qu’on veut nous apprendre à toujours plus se protéger, s’assurer et se prémunir, jusqu’à ce que le risque même de vivre paraisse insoutenable,

Alors même que les révoltes, insurrections et révolutions du passé semblent définitivement ensevelies sous la poussière d’un présent qui se prétend achevé, ou rangées dans les écrins dorés d’une muséification glaçante,

Quand il pourrait sembler que plus aucun vent ne souffle pour nous emporter ailleurs,

Le cœur bat encore.

Alors que les analyses, les pratiques et même les mots tendent à perdre leur charge subversive, quand la joie devient réussite, quand la liberté devient discipline, quand la singularité devient identité, quand la solidarité devient soutien, quand transformer le monde devient cogérer sa misère,

Le cœur bat encore

Alors que le mot peuple, son nationalisme et sa xénophobie n’inquiètent plus grand monde, qu’il paraît qu’on devrait désirer plus de justice et plus de punition, alors que lutter devient dénoncer, que se défendre devient accuser et harceler, alors que la séparation se présente comme la condition nécessaire de la radicalité,

Au moment où chacun se laisse enfermer dans la misère de ce que ce monde veut qu’il soit,

Le cœur bat encore

Alors que nos aspirations se retrouvent réduites et étriquées aux conditions de ce monde au point que le repli sur soi et le ressentiment se donnent comme la seule réassurance possible et l’attaque de ses semblables comme la seule intervention réalisable,

Le cœur bat encore

Et ses battements résonnent dans le vide de cette époque mortifère jusqu’à ouvrir peut-être une brèche dans son épaisseur engluante, et nous rappellent à la vie, à la lutte, à l’urgence.

Le cœur bat

Pas sur un blog, même pas dans les textes qu’il contient,

Mais partout où quelque chose vient enrayer la bonne marche et la normalité de ce monde, le cœur bat.

A nous, ici ou ailleurs, comme on le fera ici ou autrement, de trouver les moyens de l’entendre, de l’amplifier et de le distordre jusqu’à ce qu’il ébranle ce monde silencieux étouffé et misérable.

Et, enfin, partir à l’assaut du ciel.